Par Albane Lafanechère, avocate.
Communication présentée le 26 avril 2007 lors de la journée d’étude « Droit(s) et image(s) » organisée par le CODHOS.
Toute reproduction totale ou partielle est interdite sans autorisation de l’auteur.
Avant d’aborder les différents cas pratiques que vous pourrez me soumettre, il me semble nécessaire de commencer par vous présenter le contexte juridique dans lequel nous nous situons. Si la loi DADVSI (Droit d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information) adoptée en 2006, avait notamment pour objet de prendre en considération les nouveaux usages dont nous allons parler — comme par exemple la question de la numérisation des images, ou celle de leur mise en ligne sur Internet —, elle n’a cependant pas bouleversé le cadre juridique régissant le droit d’auteur. La connaissance des grands principes applicables à la matière vous permettra sans doute d’apporter des réponses à une bonne partie des questions que vous vous posez. Avant de commencer, je voudrais également préciser trois choses : je vais vous parler de « l’image », mais selon les cas, il pourra s’agir de photographies, d’affiches, de plans, de croquis, de dessins, etc. ; d’autre part, je me concentrerai sur la question du droit des images en France, sans entrer dans le détail des conventions internationales (sachez tout de même que les deux principales, pour ce qui nous concerne, sont celles de Genève et de Berne, et qu’a priori, une œuvre exécutée par un auteur étranger et divulguée à l’étranger est tout de même protégée en France selon le droit français, sous réserve de réciprocité) ; enfin, si besoin je poursuivrai parfois mes considérations sur le droit d’auteur par quelques incursions dans le domaine du « droit à l’image », c’est-à-dire du droit sur le contenu de l’image.
Principes généraux
D’une manière générale, le droit d’auteur est régi par le code de la propriété intellectuelle, qui concerne d’une part la propriété littéraire et artistique, et d’autre part la propriété industrielle (qui pour aller vite regroupe les brevets, les marques, les dessins et les modèles), dont je ne parlerai pas aujourd’hui. Les fondements de la loi sur le droit d’auteur ont été énoncés en 1957. L’une des tendances actuelles du législateur est l’extension du bénéfice de ce droit à de nouvelles formes de créations intellectuelles, telles que les bases de données informatiques, auxquelles le juge appliquera les règles classiques, telle que l’exigence d’originalité ; compte tenu des nombreuses possibilités nouvelles de reproduction d’images, le législateur cherche aussi à encadrer les différents problèmes qui apparaissent, liés par exemple aux questions que pose la numérisation.
Le droit d’auteur, en France, est défini dans les termes suivants : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial » (Code de la propriété intellectuelle, article L 111-1).
Qu’est-ce qu’une « œuvre de l’esprit » ?
En matière de droit d’auteur, une seule condition est requise : il faut que cette œuvre soit originale. La jurisprudence est venue préciser cette notion, en énonçant que l’œuvre doit refléter la marque de la personnalité de son auteur, son empreinte créatrice, voire son apport intellectuel. Les juges ont peut-être tendance aujourd’hui à évoluer sur ce point , mais il faut considérer que la notion d’originalité est reconnue de manière très large. La loi nous dit en effet qu’une œuvre est protégée « quel que soit son genre, sa forme d’expression, son mérite ou sa destination » : l’usage qui peut être fait de l’œuvre ne doit donc pas être pris en considération.
Ainsi, lorsqu’il s’agit par exemple de définir si une photographie est originale ou non, le sujet ou le cadre dans lequel celle-ci a été réalisée — œuvre de commande pour garder trace d’un chantier en cours, par exemple — ne sont pas censés, en principe, entrer en ligne de compte. La protection des œuvres est donc très étendue : rares sont les décisions de justice ayant admis qu’une photographie n’était pas originale, et ne devait donc pas bénéficier de la protection du droit d’auteur (certains de ces jugement sont peut-être d’ailleurs mal fondés dans le sens où ils évoquent la « banalité du sujet », qui ne devrait pas être le critère à prendre en considération).
Des questions se posent évidemment — et elles devraient particulièrement vous intéresser — pour les œuvres qui représentent d’autres œuvres : photographier un tableau pour en restituer les éléments de la manière la plus fidèle possible, est-ce faire œuvre d’originalité, ou seulement exercer un savoir-faire technique permettant une reproduction quasiment à l’identique ? Ces questions ont été abondamment débattues, et dans la plupart des cas il a été considéré que le photographe, ayant la possibilité de choisir un angle de prise de vue, une luminosité, etc., faisait œuvre d’originalité. Néanmoins, le droit est aussi influencé par la pratique, et si cette problématique devait se présenter de plus en plus régulièrement devant les tribunaux, il se peut que les réponses jusqu’à présent apportées évoluent, et que la protection du droit d’auteur soit accordée de manière plus restrictive.
La protection du droit d’auteur sur une œuvre naît « du seul fait de sa création », indépendamment de toute formalité et de toute divulgation
Cela signifie que l’auteur (ou ses ayant-droits) dispose sur son œuvre des prérogatives accordées par la loi dès le moment où l’œuvre est créée, indépendamment de sa divulgation. Ceci n’est pas sans influence notamment au niveau du droit moral. Pour donner un exemple, il peut arriver qu’un établissement recueillant des archives se trouve en possession de photographies jamais publiées du vivant de leur auteur : si celles-ci le sont un jour par l’établissement en question, on pourra se demander s’il ne sera pas alors porté atteinte à l’un des éléments du droit moral de l’auteur, à savoir son droit de divulgation. Nous reviendrons plus tard sur ce point, lorsque je parlerai plus en détail du droit moral.
La propriété de l’œuvre matérielle est indépendante de la propriété des droits sur l’œuvre
« La propriété incorporelle définie par l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel », article L111-3. Certains d’entre vous disent parfois « Nous considérons que ce sont nos images, puisque nous les conservons » : si vous les conservez, c’est effectivement que vous les avez acquises d’une manière ou d’une autre, par achat, par donation, par dation, etc., mais cette propriété matérielle ne vous donne pas de droits sur l’œuvre ; vous n’êtes pas titulaire du bénéfice des droits d’auteur attachés à l’œuvre donnée, à moins que celui-ci ne vous ait été explicitement cédé. A défaut, on peut considérer qu’une bibliothèque ou un centre d’archives ne disposent finalement de pas plus de droits sur les œuvres qu’ils conservent que leurs utilisateurs, les lecteurs d’une bibliothèque par exemple…
La cession des droits d’auteur n’est jamais implicite.
En 1991, un musée, poursuivi par les héritiers d’un artiste pour avoir reproduit l’un des tableaux de celui-ci (dont le musée était propriétaire) pour un ouvrage et des cartes postales, avait été jugé fautif par le Tribunal, qui avait considéré que ces reproductions avaient été faites en contravention du droit d’auteur détenu par les héritiers de l’artiste.
Plus récemment, une revue avait illustré un reportage consacré à la réouverture du Musée de la mode et du textile, par une photographie d’un manteau réalisé par Sonia Delaunay, manteau donné au Musée par le fils de l’artiste. Les ayants droits de Sonia Delaunay ont alors poursuivi la publication de presse (mais non le musée) pour avoir reproduit ce manteau (la photographie étant ici un moyen de reproduction de l’œuvre) sans autorisation et sans régler de droits, et le tribunal a considéré qu’effectivement la donation du manteau par la famille de l’artiste n’emportait pas cession implicite des droits de reproduction.
On voit ainsi que pour toute œuvre il faut toujours se poser la question des différents usages qui pourront en être faits, et par qui. Cela vous paraîtra sans doute aberrant, mais on peut se demander si, pour un musée, le simple droit d’exposition (considéré comme faisant partie du droit de représentation) ne devrait pas lui aussi impliquer une rémunération des auteurs…
La durée du droit d’auteur
La protection offerte par le droit d’auteur n’est pas perpétuelle (sauf s’agissant du droit moral, ce que nous verrons plus loin).
Suite à une directive européenne de 1995 introduite en droit français par une loi de 1997, la durée du droit d’auteur qui était autrefois de 50 ans a été portée à 70 ans à compter du 1er janvier de l’année qui suit la mort de l’auteur. Ainsi, si un auteur décède en 1985, ses œuvres bénéficieront de la protection au titre du droit d’auteur jusqu’au 31 décembre 2055.
Pour les œuvres de collaboration, l’année à prendre en considération est l’année du décès du dernier des collaborateurs.
Pour les œuvres pseudonymes, anonymes ou collectives, la durée du droit exclusif est de 70 ans à compter du 1er janvier qui suit l’année de publication de l’œuvre
Pendant longtemps s’est posée la question de savoir si l’on devait ajouter à ces 70 ans les « prorogations de guerre » prévues par les articles L123-8 et L123-9 du code de la propriété intellectuelle (environ six ans pour la première guerre mondiale et huit ans pour la seconde). Ces prorogations, contrairement aux 70 ans qui se décomptent à compter de l’année civile qui suit la mort de l’auteur, s’appliquaient par rapport à une date donnée (article L123-8 : « un temps égal à celui qui s’est écoulé entre le 2 août 1914 et la fin de l’année suivant le jour de la signature du traité de paix pour toutes les œuvres publiées avant cette dernière date et non tombées dans le domaine public le 3 février 1919. » ; article L123-9 : « un temps égal à celui qui s’est écoulé entre le 3 septembre 1939 et le 1er janvier 1948 pour toutes les œuvres publiées avant cette date et non tombées dans le domaine public à la date du 13 août 1941 »).
Une toute récente décision de la Cour de cassation, en février dernier [2007], a jugé que désormais les « prorogations de guerre » sont incluses dans le nouveau délai de 70 ans, et ne doivent donc plus être prises en considération.
La titularité des droits sur l’œuvre
Il arrive fréquemment que plusieurs personnes collaborent à la création de la même œuvre. Le code de la propriété intellectuelle distingue les « œuvres collectives » (créées par différents contributeurs, mais à l’initiative d’une personne, physique ou morale, sous le nom de laquelle l’œuvre est divulguée) des « œuvres de collaboration » (créées par un ensemble de co-auteurs qui apportent chacun leur propre contribution).
L’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne sous le nom de laquelle elle est divulguée.
Pour ce qui concerne les œuvres de collaboration — c’est anecdotique, mais il est déjà arrivé (très rarement) que pour une photographie la personne photographiée soit reconnue comme co-auteur de l’œuvre, ayant pris part à sa mise en scène —, les droits sont gérés en copropriété par l’ensemble des contributeurs.
L’ « œuvre composite », quant à elle, est l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante, sans la collaboration de l’auteur de cette dernière. Il s’agira par exemple d’une photographie dont l’objet est une œuvre architecturale. Elle est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante.
Il peut arriver, bien sûr, qu’une photographie soit reproduite dans un journal, exemple même de l’œuvre collective ; dans ce cas, la durée de protection démarre à la date de publication : pour un journal publié en 1930, on peut donc considérer que les droits sur l’œuvre sont arrivé à expiration en 2000. Il faut cependant prendre garde, car cette dernière remarque ne concerne que le journal lui-même : pour les photographies ou les diverses illustrations faisant partie de ce même journal, les questions se posent d’une manière différente, chaque contributeur conservant en effet son droit d’auteur, celui-ci n’étant cédé au journal que pour la première publication (et la première divulgation n’autorise aucun droit de reproduction ultérieur).
Le droit d’auteur est extrêmement bien protégé en droit français : la conclusion d’un contrat de travail ou d’un contrat de louage d’ouvrage (contrat de commande, par exemple) n’emporte pas dérogation à ce droit là, qui, sauf cas particuliers d’œuvres collectives, naît je vous le rappelle sur la personne de l’auteur de l’œuvre. A priori, un photographe salarié d’une agence photographique, s’il ne cède par ses droits de façon expresse, par contrat, reste toujours titulaire des droits sur ses photographies. Cela peut évidemment poser un certain nombre de problèmes et la jurisprudence considère parfois que la cession, sans être implicite, peut néanmoins être reconnue en l’absence de contrat écrit, lorsque par exemple des factures ou des courriers échangés laissent penser qu’il y avait bien une volonté de cession ; je me répète, mais en principe, a priori, sauf cession expresse des droits en question, ceux-ci demeurent sur la tête de l’auteur.
Il faut noter, enfin, que les titulaires des droits sur une œuvre peuvent être l’auteur mais également des ayants droit tels que cessionnaires du droit d’auteur, héritiers ou légataires par succession ou sociétés de gestion des droits, par exemple.
Les attributs du droit d’auteur, droit moral et droits patrimoniaux
Le droit moral
Le droit moral (ou plus exactement les droits moraux) est le plus simple à considérer, au sens où il n’y a guère de questions à se poser à son propos : à la différence des droits patrimoniaux, c’est un droit perpétuel, et qui plus est incessible (il est nécessairement attaché à l’auteur, puis, après son décès, à ses ayants droits).
Les droits moraux incluent le droit à la paternité (droit au respect du nom et de la qualité de l’auteur), le droit au respect de l’œuvre, le droit de divulgation et le droit de repentir ou de retrait.
Le droit à la paternité est le droit pour l’auteur de voir une œuvre identifiée comme étant la sienne. Ainsi, lorsqu’une photographie est reproduite dans un ouvrage, il faut obligatoirement indiquer le nom de l’auteur, ce qui bien sûr pose parfois de véritable problèmes pratiques lorsque cet auteur est inconnu (c’est pourtant une obligation à laquelle en principe on ne peut déroger).
De manière concrète, le droit au respect de l’œuvre concerne le respect de l’intégrité de l’œuvre telle que l’a conçue et l’a voulue l’artiste : en matière de photographie, la reproduction d’une partie seulement d’une œuvre est contraire aux obligations du droit moral, ainsi par exemple que la réalisation d’une reproduction floutée.
Le droit de divulgation, c’est le droit de rendre l’œuvre publique. Quant au droit de repentir ou de retrait, c’est le droit pour un auteur qui aurait consenti à la cession de son droit d’exploitation, de revenir sur cette cession moyennant l’indemnisation du cessionnaire.
Les droits patrimoniaux
Les droits patrimoniaux, pour leur part, se décomposent en droit de reproduction et droit de représentation (existe aussi le droit de suite, dont je ne vous parlerai pas, car il ne vous concerne guère).
La représentation « consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque », tel que représentation dramatique, télédiffusion, présentation publique, etc…la liste n’étant évidemment pas limitative.
La reproduction quant à elle est définie comme « la fixation matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte » : cela concerne les reproductions sous forme de photographies, de photocopies, ou bien encore, et de plus en plus, sur un support électronique (numérisation de documents).
Je vous ferai grâce des débats entre juristes sur la distinction entre droit de reproduction et droit de représentation, mais comment qualifier, par exemple, le fait d’établir un lien hypertexte vers une photographie numérisée ? S’agit-il de la l’exercice du droit de représentation, puisqu’un internaute pourra alors, en un clic, voir apparaître la photographie sur l’écran de son ordinateur ? Ou bien du droit de reproduction, puisque l’œuvre est « fixée » sur le serveur ? Si ces interrogations peuvent être sans fin, on peut cependant constater qu’en tout état de cause, pour le cas que je viens de citer, droits de reproduction et droits de représentation entrent tous les deux dans le cadre du droit d’exploitation réservé à l’auteur, qui comprend notamment, bien que cela ne paraisse pas toujours évident à première vue, les droit de location et les droits de prêt…
L’existence du droit d’auteur a pour conséquence qu’une œuvre ne peut être en principe exploitée (c’est-à-dire représentée ou reproduite), qu’avec l’accord préalable de son auteur ou de ses ayants droits, ce qui implique bien souvent le versement d’une rémunération. En tout état de cause, le droit moral de l’auteur doit lui aussi obligatoirement être respecté.
Le droit d’auteur étant exclusif et opposable à tous l’argument habituel du « je ne savais pas » ne pourra pas suffire en cas de litige à écarter la responsabilité des utilisateurs d’une œuvre.
La cession des droits d’auteur
La possibilité offerte à l’auteur de céder ses différents droits de manière différenciée (il peut par exemple céder ses droits de représentation mais conserver ses droits de reproduction) n’est parfois pas sans poser problème. En cas de cession, la loi oblige les contractants à déterminer non seulement quels types de droits sont cédés, mais à définir aussi la destination des œuvres, la durée de cession des droits et le territoire concerné.
Concrètement, cela signifie que lorsqu’on est un musée sur le point d’acquérir une œuvre et d’établir un contrat de cession (je pense notamment aux musées travaillant directement avec des artistes), il est indispensable que chacun des modes d’utilisation et de diffusion de l’œuvre soient détaillés : une reproduction sur un support papier, ce n’est pas la même chose qu’une numérisation et une mise en ligne sur Internet ; même si vous avez prévu la première dans un contrat, cela ne vous autorise pas à faire l’autre.
Les exceptions au droit d’auteur
Il existe quelques exceptions au droit d’auteur — évidemment assez rares, et interprétées par la jurisprudence de façon très stricte, quoique étendues un peu par la loi DADVSI de 2006 —, qui rendent possible l’utilisation de l’œuvre sans autorisation de l’auteur.
Sont ainsi concernées les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille. Mais dès lors qu’il devient collectif l’usage n’est plus privé: un particulier mettant des photographies sur son site Internet, alors même qu’il ne réalise pas d’exploitation commerciale, ne peut prétendre réaliser un usage privé. L’adjectif « privées » laisse aussi entendre que les usages professionnels ne sont pas autorisés. Il y a très peu de décisions en la matière, mais j’en ai tout de même trouvé une, considérant, à propos de l’utilisation de reproductions de photographies présentées en interne, dans un musée je crois, pour préparer une exposition, qu’un tel usage pouvait être considéré comme privé. C’est cependant un cas très particulier, et il me semble sage de rester prudent dans ce domaine : la diffusion large, sur un Intranet professionnel par exemple, de reproductions d’une œuvre ne serait certainement pas considérée comme un usage privé.
Sont également autorisées « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste ». Nombreux sont vos bibliothèques et centres d’archives qui mettent à la disposition de leurs usagers des photocopieurs. Dans ce cas, il faut bien distinguer l’usage fait par le destinataire de la copie, et celui fait par l’établissement en question. La jurisprudence est très claire sur ce point : le simple fait pour un établissement de disposer de photocopieurs dans un local, et de se faire rémunérer pour les photocopies, lui confère le statut de copiste. Or les copies réalisées sont alors considérées comme n’ayant pas été faites pour l’usage privé de l’établissement, et ce dernier ne peut donc pas invoquer l’exception de « copies à usage privé », de sorte qu’il lui est nécessaire de solliciter l’autorisation de l’auteur. La difficulté a ici été contournée, la gestion collective des droits étant confiée au Centre français de la copie, avec lequel chaque établissement peut passer contrat. C’est ensuite le CFC qui rémunère directement les auteurs, et l’établissement n’a plus à se soucier de l’usage fait des photocopies réalisées par ses usagers, celui-ci relevant de leur propre responsabilité. Le CFC demande seulement aux établissement contractants de placer des affiches informant les utilisateurs de leurs droits et devoirs, et notamment du fait que les photocopies réalisées ne peuvent être qu’à usage privé.
Si les questions sont ainsi résolues pour les photocopies, elles restent cependant en suspens pour les services de numérisation de documents. Je sais très bien que les usagers de vos établissements sont de plus en plus nombreux à demander, ou à faire eux-mêmes, des photos numériques de documents que vous conservez. Il s’agit là, pour moi, d’un problème majeur : les titulaires des droits sur les œuvres reproduites (affiches ou photographies, par exemple) pourraient certainement faire valoir leurs droits, mais sauf à faire perdre tout son sens à votre travail de bibliothécaire ou d’archiviste, je ne vois vraiment pas comment vous empêcher de faire (ou laisser faire) ces reproductions dans le cas où elles seront utilisées à des fins privées de recherche. En revanche, il faut savoir — et souligner — que les numérisations d’œuvres par vos établissement eux-mêmes, par exemple pour illustrer une revue interne, ne peuvent pas être considérées comme à usage privé, et que vous courrez donc un risque à ce niveau là. Cela dit, si j’évoque ici beaucoup de problèmes, il faut tout de même insister sur le fait que je n’ai encore jamais eu connaissance de décisions de justice condamnant une bibliothèque, un centre d’archives ou un centre de documentation pour avoir numérisé des œuvres — pour qu’il y ait action en justice, il faudrait d’ailleurs, pour commencer, qu’un auteur réalise que ses droits ont été violés, et que donc il ait connaissance, d’une manière ou d’une autre, qu’un des usagers de vos établissements a reçu ou constitué une copie numérique d’une de ses œuvres. Je ne sais pas si des pratiques ont été définies pour tenter de résoudre ou circonscrire ce problème, mais en tout cas le risque en la matière me paraît assez faible.
Dans un autre registre, je voudrais aborder maintenant la question des courtes citations d’une œuvre. Cette question fait actuellement l’objet d’un débat, non tranché, entre la Cour de Cassation (cour suprême dans le droit français, qui ne traite que les problème de droit pur) et les juridictions de fond, qui statuent à la fois sur les faits et sur le droit, la première ayant jusqu’à présent refusé de façon constante de reconnaître que la reproduction d’une œuvre dans son intégralité, même sous forme réduite, pouvait constituer une citation. Autrement dit, il est normalement impossible de reproduire une photographie dans son entier dans un ouvrage, à des fins d’illustration, même dans un petit format, en arguant du droit de citation (le cas des articles de journaux est cependant un peu différent, car existe en effet une exception concernant le droit à l’information). Je ne sais pas si la Cour de Cassation est susceptible d’évoluer à ce propos, mais on peut le supposer, car les juridictions de fond sont assez résistantes dans ce domaine, et — bien que leurs décisions soient ensuite systématiquement cassées — continuent de juger dans certains cas que la reproduction réduite d’une œuvre peut constituer une citation. En fait, elles essaient tout simplement de résoudre le problème né du fait que s’il est interdit de reproduire la totalité d’une œuvre dans un format réduit, il est tout aussi illégal de la reproduire en partie seulement, compte tenu des impératifs du droit moral, qui interdit de porter atteinte à l’intégrité d’une œuvre… Pour être complet, il faut cependant ajouter qu’existe une exception qui autorise la reproduction complète d’une œuvre, sans autorisation et sans rémunération : lors de l’établissement d’un catalogue d’œuvres d’art pour une vente aux enchères.
Les nouvelles exceptions au droit d’auteur introduites par la loi DADVSI
Adoptée en 2006, la loi DADVSI, relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, a introduit quelques nouveautés dans le dispositif antérieur, et en particulier de nouvelles possibilités d’usage en absence d’autorisation de l’auteur : c’est le cas par exemple de « la représentation ou la reproduction d’extraits d’œuvres (…) à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche » [article 1, modifiant l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle ; ces dispositions légales ne devraient entrer en vigueur qu’au 1er janvier 2009, mais un accord a déjà été conclu entre le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et cinquante sociétés d’édition afin de mettre en place un cadre applicable immédiatement]. Évidemment, cette disposition n’est pas sans poser quelques problèmes de définition : qu’est ce qu’en effet qu’un « extrait d’œuvre » ? Se retrouve-t-on dans la problématique précédemment évoquée du droit de citation ? La reproduction d’une photographie ou d’un tableau doit-elle être considérée comme un extrait d’œuvre ? Il est fait mention, d’autre part, d’usage « à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche, à l’exclusion de toute activité ludique ou récréative, dès lors que le public auquel cette représentation ou cette reproduction est destinée est composé majoritairement d’élèves, d’étudiants, d’enseignants ou de chercheurs directement concernés (…) ». Les limites de cette définition elles aussi sont floues, mais si un chercheur dispose d’un site Internet, susceptible d’être consulté par tous les publics, sans doute ne pourra-t-il pas arguer de cette exception pour mettre en ligne des reproductions d’œuvres (celle-ci pourrait peut-être se concevoir, cependant, pour le cas par exemple de la mise en ligne d’une reproduction sur l’Intranet d’un établissement public).
Autre exception introduite par la loi DADVSI, qui pour le coup concerne directement « les bibliothèques accessibles au public, les musées ou les services d’archives » : la possibilité pour ces établissement de pouvoir reproduire librement une œuvre « à des fins de conservation » ou de préservation des « conditions de sa consultation sur place », sous réserve toutefois qu’ils « ne recherchent aucun avantage économique ou commercial » (article 1, alinéa 8, modifiant l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle). A mon sens, un établissement public se voit là offrir la possibilité de numériser sans droits tout ou partie de ses collections à des fins de conservation, pour éviter la dégradation d’originaux trop souvent manipulés ; la réserve finale indique toutefois sans ambiguïté que le fait de proposer éventuellement ensuite à différents utilisateurs, moyennant rémunération, les documents numériques ainsi créés n’entre pas dans le cadre de l’exception.
La responsabilité encourue du fait de l’exploitation d’une œuvre sans autorisation
La contrefaçon, qui consiste à exploiter l’œuvre d’un auteur sans son autorisation, est une infraction qui peut entraîner des sanctions civiles ou pénales — ces dernières pouvant aller jusqu’à 300 000 Euros d’amende et 5 ans d’emprisonnement. Les sanctions pénales sont certes subordonnées, a priori, à la reconnaissance d’un élément intentionnel, mais la jurisprudence a tendance à considérer qu’existe une sorte de présomption de mauvaise foi : dans la mesure où le droit d’auteur est un droit exclusif et opposable à tous, il faudrait en effet nécessairement toujours, lorsque l’on reproduit ou qu’on expose une œuvre, photographique ou autre, faire en sorte que les droits d’auteur ne soient pas violés. Vous pourrez toujours expliquer que vous avez multiplié les recherches, et jurer de votre bonne foi : si une photographie non identifiée est exploitée et utilisée dans le cadre d’une exposition ou d’un ouvrage, et qu’un auteur parvient à démontrer qu’il s’agit bien de sa création, vous serez susceptible d’être condamné, tout au moins civilement (au civil, la bonne foi est inopérante, et les sanctions sont considérées comme une réparation du préjudice causé). Il est rare, dans un cas de contrefaçon, d’être poursuivi au pénal, l’objectif pour l’auteur étant avant tout d’obtenir des dommages et intérêts réparant le préjudice subi, ce qui est obtenu beaucoup plus efficacement par le biais d’une action civile que d’une action pénale. Le risque pour vous, bibliothécaires ou archivistes, de faire l’objet d’une action pénale dans le cadre de vos activités professionnelles me paraît ainsi très faible.
Conclusions et conseils…
Lorsque vous acquérez une œuvre, il conviendrait de vous poser systématiquement la question de la cession des droits qui lui sont associés — même si je comprends bien que lorsque vous récupérez un lot d’archives, le donateur n’est pas toujours l’auteur des œuvres qui peuvent y être incluses, et ne peut sans doute que rarement vous garantir que les droits sur les fonds donnés sont vraiment utilisables. Lorsqu’un artiste vend ou donne une œuvre, à un musée par exemple, il est indispensable de signer avec lui un contrat, dès le moment de l’apport, afin de bien déterminer les modes d’exploitation de l’œuvre que vous envisagez, qu’il s’agisse d’exposition, de reproduction sur carte postale ou dans des ouvrages, de prêt à d’autres institutions, etc.
Pensez aussi à la possibilité, pour les utilisateurs d’images, de conclure des contrats avec les fournisseurs d’images, bibliothèques, centres de documentation ou services d’archives, ou bien encore agences photographiques, pour reporter le risque inhérent à l’utilisation des documents sur le fournisseur (un code des usages en matière d’illustration photographique a ainsi été établi, en 1993, entre le Syndicat national de l’Édition d’une part, et l’Union des photographes créateurs (UPC), l’Association française des photographes professionnels indépendants, le Syndicat des agences de presse photographiques (SAPP), le Syndicat des agences photographiques d’illustration et de reportage (SAPHIR), le Syndicat national des agences photographiques d’illustration générale (COPYRIGHT) et la Chambre syndicale des photographes professionnels (CSPP), le Groupe national de la photographie professionnelle (GNPP) d’autre part, pour en principe faire porter sur les agences photographiques cette responsabilité).
Si je vous invite bien sûr à rester conscients des difficultés posées par les problématiques liées au droit d’auteur, il reste que toutes les questions ne peuvent pas toujours êtres résolues, et qu’il est sans doute plus efficace, plutôt que de se priver de certaines pratiques, d’apprécier en toute connaissance de cause les risques qu’elles peuvent entraîner en termes de responsabilité.
Droits réservés…